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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
Pour les Stoïciens, la seule réalité est constituée de corps qui rentrent en contact selon la
rationalité du logos qui nous affranchit de l’aléatoire et, in fine, de l’impuissance d’un savoir
démuni face à un monde absurde. C’est la théorie de la gnomè, du savoir envue de l’action
et qui se renforce par ses propres résultats, de Zénon à Foucault. Le corps doit donc être
l’objet de soins et d’attention, en tant que medium indépassable de notre rapport au
monde. La souffrance humaine ne résulte plus du fait que l’existence humaine soit
condamnée à la chair, mais du fait que, à cause de nos fantasmes, de nos représentations
fautives par manque de jugement et de discernement, nous nous séparions nous-mêmes
de notre être-dans le monde par notre corporéité: l’âme est un corps, en harmonie avec le
Cosmos auquel elle appartient. Cett doctrine stoïcienne est une théorie de l’émancipation
éducative, qui résulte de notre long processus de métamorphose dans notre expérience
du monde.
C’est la raison pour laquelle les institutions éducatives ont lutté, dans toute la longue
histoire, contre cette autonomie accordée au sujet pour se former lui-même, dans le libre
jeu de son corps (âme et corps) et du monde (corps et âme).
Je ferai ainsi l’hypothèse que, privilégiant le mépris voire, comme dans la Pédagogie de
Port-Royal, la haine du corps, les institutions éducatives qui affirme détenir la perspective
du salut et promettent la fin de la souffrance dérelictive, vont orienter, en vue d’assurer
leur coercition sur les sujets qu’elles gouvernent. Ce sont, ce que Habermas analyse comme
les techniques de domination, et que Foucault reprend à son compte dans leur disjonction,
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avec les techniques de soi , comme je le développerai ici.
Pour asseoir ces techniques, la peur et la haine de l’autre sont éminemment sollicitées,
mais, en vertu du parti-pris métaphysique, aucune «communion des âmes» ne pouvant
avoir lieu sans l’assentiment de celui qui rassemble les troupeau et qui écarte les brebis qui
le mettent en danger, cette peur et cette haine ne peut concerner que ce qui rend
précisément sensible la rencontre de l’autre, c’est-à-dire sa corporéité. Cette corporéité est
donc fantasmée comme corruptrice, soit par sa démesure et son débordement – la
sexualité de l’autre menace la vie réglée de la communauté, soit par sa déficience et ses
caractères pathologiques – la bonne santé du groupe est menacée par les corps étrangers
qui risquent de nous contaminer. La xénophobie et le racisme s’appuie sur une telle mise
253 Foucault, M., L'origine de l'herméneutique de soi, Paris: Vrin, 2013.
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