Page 183 - Amechanon_vol1_2016-18
P. 183

Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Pour les Stoïciens, la seule réalité est constituée de corps qui rentrent en contact selon la
                   rationalité du logos qui nous affranchit de l’aléatoire et, in fine, de l’impuissance d’un savoir

                   démuni face à un monde absurde. C’est la théorie de la gnomè, du savoir envue de l’action
                   et qui se renforce par ses propres résultats, de Zénon à Foucault. Le corps doit donc être

                   l’objet  de  soins  et  d’attention,  en  tant  que  medium  indépassable  de  notre  rapport  au
                   monde.  La  souffrance  humaine  ne  résulte  plus  du  fait  que  l’existence  humaine  soit

                   condamnée à la chair, mais du fait que, à cause de nos fantasmes, de nos représentations
                   fautives par manque de jugement et de discernement, nous nous séparions nous-mêmes

                   de notre être-dans le monde par notre corporéité: l’âme est un corps, en harmonie avec le

                   Cosmos auquel elle appartient. Cett doctrine stoïcienne est une théorie de l’émancipation
                   éducative, qui résulte de notre long processus de métamorphose dans notre expérience
                   du monde.


                   C’est  la  raison  pour  laquelle  les  institutions  éducatives  ont  lutté,  dans  toute  la  longue
                   histoire, contre cette autonomie accordée au sujet pour se former lui-même, dans le libre

                   jeu de son corps (âme et corps) et du monde (corps et âme).

                   Je ferai ainsi l’hypothèse que, privilégiant le mépris voire, comme dans la Pédagogie de
                   Port-Royal, la haine du corps, les institutions éducatives qui affirme détenir la perspective

                   du salut et promettent la fin de la souffrance dérelictive, vont orienter, en vue d’assurer

                   leur coercition sur les sujets qu’elles gouvernent. Ce sont, ce que Habermas analyse comme
                   les techniques de domination, et que Foucault reprend à son compte dans leur disjonction,
                                           253
                   avec les techniques de soi , comme je le développerai ici.

                   Pour asseoir ces techniques, la peur et la haine de l’autre sont éminemment sollicitées,
                   mais, en vertu du parti-pris métaphysique, aucune «communion des âmes» ne pouvant

                   avoir lieu sans l’assentiment de celui qui rassemble les troupeau et qui écarte les brebis qui
                   le  mettent  en  danger,  cette  peur  et  cette  haine  ne  peut  concerner  que  ce  qui  rend

                   précisément sensible la rencontre de l’autre, c’est-à-dire sa corporéité. Cette corporéité est
                   donc  fantasmée  comme  corruptrice,  soit  par  sa  démesure  et  son  débordement  –  la

                   sexualité de l’autre menace la vie réglée de la communauté, soit par sa déficience et ses
                   caractères pathologiques – la bonne santé du groupe est menacée par les corps étrangers

                   qui risquent de nous contaminer. La xénophobie et le racisme s’appuie sur une telle mise



                   253  Foucault, M., L'origine de l'herméneutique de soi, Paris: Vrin, 2013.



                                                           183
   178   179   180   181   182   183   184   185   186   187   188