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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Et puis donner aussi à l’entreprise son élan symbolique. Nous nous étions quittés en fixant

                   deux  rendez-vous;  le  premier  en  fin  d’après-midi  dans  la  baie  d’Alinda  pour  une
                   performance artistique; le second à la Bibliothèque, pour la conférence philosophique déjà
                   programmée, conférence publique qui serait consacrée à la mémoire.



                   Une «performance» dans la baie d’Alinda

                   Yves Henri l’avait proposé, nous en avions discuté et décidé ensemble : la première trace
                   artistique que laisserait à Leros la résidence du vaisseau fantôme devait être installée à la

                   Bibliothèque. Sur son toit peut-être pour être vue de tous les passants nombreux sur la
                   place de Platanos où elle se dresse, à côté de la Mairie? Difficile de l’envisager. Dans ses

                   locaux donc, dans la salle sur laquelle ouvre sa porte, accrochée au plafond par des filins.
                   La  sculpture  du  vaisseau  fantôme  de  la  Bibliothèque  de  Leros  avait  pris  forme  sur  la

                   terrasse de la pension Atlazia. Pour qu’elle entre à la Bibliothèque, il fallait qu’un geste
                   rituel soit accompli, qu’un cérémoniel l’accompagne jusque-là, jusqu’au moment du don. Il

                   s’agirait d’un double cérémoniel: un cérémoniel qui fasse événement dans l’aventure de la
                   création partagée pour toutes celles et ceux qui avaient commencé de s’y engager et que

                   nous avions invités à nous rejoindre avant le coucher du soleil dans la baie d’Alinda; mais

                   un cérémoniel qui s’inscrive aussi dans la mythologie personnelle de l’artiste, qui prenne
                   place dans la série des gestes artistiques reliant pour l’artiste chaque phase nouvelle de
                   l’aventure  en  cours  à  ses  origines  les  plus  profondes,  peut-être  les  plus  secrètes.  En

                   présence des quelques complices de l’aventure du vaisseau fantôme de Leros, Yves Henri

                   allait  donc  procéder  à  la  mise  à  la  mer  de  la  sculpture  du  vaisseau  fantôme  de  la
                   Bibliothèque,  selon  un  rituel  singulier  et  nourri  d’un  des  imaginaires  que  sollicite  tout

                   particulièrement l’insularité: l’imaginaire de l’eau. Telle une cariatide, portant sur sa tête la
                   sculpture, l’artiste s’est donc avancé lentement dans la mer, jusqu’au moment où le flot le

                   submergeant la sculpture libérée a commencé à flotter puis, tirée par les filins dont elle
                   avait  été  équipée,  à  rejoindre  la  rive,  jusqu’à  venir  s’échouer  aux  pieds  de  Dimitris,  le

                   responsable de la Bibliothèque. La passation était accomplie, la sculpture était arrivée à
                   destination.














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