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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   part nommer la création partagée: une œuvre profondément enracinée dans l’histoire et

                   la  mémoire  de  celles  et  ceux  qui  s’y  engagent.  Comment  embarquer  la  pensée
                   philosophique dans cette aventure? La lecture de Bachelard répondait à cette question en
                   suggérant qu’elle y était déjà, embarquée, originellement embarquée. Et qu’il fallait peut-

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                   être désormais s’en souvenir. Retrouver l’archaïque dans une sorte de court-circuit , en
                   s’engageant sur le chemin d’une création partagée aussi entre l’art et la philosophie.


                   Nous étions donc en quête d’un fondement à notre entreprise et à notre association. La
                   lecture que proposait Bachelard des philosophies présocratiques – ces philosophes d’avant

                   la philosophie, d’avant le partage du logos et du mythos, et cherchant le principe de toutes
                   choses dans l’un des quatre éléments – cette lecture bachelardienne faisait signe vers une

                   racine commune, une origine commune de la poésie et de la philosophie, et invitait à y
                   revenir:  «si  ces  philosophies  simples  et  puissantes  gardent  encore  des  sources  de

                   conviction, écrit-il, c’est parce qu’en les étudiant on retrouve des forces imaginantes toutes
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                   naturelles» . La force de convaincre d’une philosophie ne tiendrait donc pas seulement à
                   son argumentation, elle puiserait aussi à son enracinement dans un imaginaire primordial,
                   élémentaire. Et cette leçon ne vaudrait pas pour les seules philosophies primitives, mais

                   bien pour la philosophie en général. Ce n’est pas sans un étonnement – et même pour ma
                   part avec une certaine jubilation – qu’on lit cette déclaration sous la plume de Bachelard:

                   «Il en va toujours de même : dans l’ordre de la philosophie, on ne persuade bien qu’en
                   suggérant  des  rêveries  fondamentales,  qu’en  rendant  aux  pensées  leur  avenue  de

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                   rêves» .

                   Rendre aux pensées leur avenue de rêves: Bachelard ne nous propose-t-il pas ici tout à la

                   fois une esthétique, un compagnonnage de l’art et de la philosophie, et une pédagogie
                   inspirée de ce compagnonnage, de cette alliance?





                   297   Cette  formulation  est  empruntée  à  Paul  Ricoeur,  évoquant  le  rapport  que  nous  autres
                   «postmodernes»  entretenons  désormais  avec  l’archaïque:  «Ce  rapport  est  plus  violent,  dans  la
                   mesure où il confronte, dans une sorte de court-circuit, l’archaïque à une pensée qui se caractérise
                   volontiers  comme  postmoderne,  mais  qu’il  vaudrait  mieux  appeler  postclassique»  (Ricoeur,  P.,
                   «Vers la Grèce antique; De la nostalgie au deuil», Esprit, n° 399, Νovembre 2013, p. 27. Ce texte inédit
                   est celui d’une conférence faite en avril 1991 à L’Institut Català d’Estudis Mediterranis).

                   298
                      Bachelard, G., op. cit., p. 5.

                   299  Ibid.



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