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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



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                   qu’une île?   Fallait-il donc l’expérience de l’île pour oser l’art et la philosophie ensemble?
                   L’insularité aurait-elle donc quelque chose à voir avec une origine commune de l’art et de
                   la philosophie? Le fait insulaire serait-il propice tant à l’idée philosophique qu’à la pulsion
                   créatrice? Il est vrai que la tentation de l’île déserte, si elle n’est pas sans faire écho à la

                   tentation philosophique, ne se défait jamais d’une sorte de nostalgie de la création, qui en

                   serait comme l’autre face. Les longues rêveries de l’insulaire face à la mer et l’horizon sont
                   une conjugaison silencieuse chaque jour répétée de cette double tentation.


                   Toute île ouvre la porte d’une sorte de rêve philosophique, tout proche du rêve originaire

                   d’où  procèdent  peut-être  l’art  et  la  philosophie  eux-mêmes.  La  philosophie  dont  le
                   philosophe ressent le besoin dès qu’il croise le chemin de l’artiste pouvait-elle naître ailleurs

                   que  sur  ces  blocs  de  terre  qu’entoure  infiniment  la  mer,  pouvait-elle  être  autre  chose
                   qu’une  philosophie  élémentaire,  une  philosophie  des  éléments,  une  philosophie

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                   qu’habitait «le combat vivant de la terre et de l’eau» , cet éternel début du monde, et la
                   force des vents qui tour à tour vous arrache ou vous cloue à la terre?


                   Contemplez la carte maritime du berceau de la philosophie, entre les côtes asiatiques de
                   l’Anatolie, le Péloponnèse et la Macédoine, et au sud l’arc de cercle que forment la Crête

                   et l’île de Rhodes: la dispersion des milliers d’îles et d’îlots comme projetés dans toute
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                   l’étendue de la mer Egée vous renvoie à l’idée d’un commencement du monde .

                   La sculpture de Yves Henri qui se dresse désormais face à la mer sur l’une de ces îles qui

                   composent l’arc de cercle qui vit naître l’art et la philosophie, ce Vaisseau fantôme de Leros,
                   fruit de ce qu’il m’arrive de désigner comme «une création partagée… aux forceps», quand

                   j’ai en tête la détermination dont il a fallu faire preuve pour qu’elle soit enfantée et portée
                   jusque-là, jusqu’à être là et interpeller le passant, quand aussi je m’inquiète du soin qu’elle

                   réclame et qui lui sera ou non accordé, cette œuvre en partage renvoie moins aujourd’hui
                   à l’idée d’un commencement du monde qu’à notre capacité et à notre volonté de faire face

                   à  celui  qui  vient.  Il  fallait  s’accorder  pour  lui  donner  un  titre.  Peut-être  est-ce  nos





                   301  Les trois paragraphes précédents sont extraits du texte déjà signalé: Kerlan, A., «Eléments d’une
                   philosophie de l’insularité», v. supra, note 5.

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                      Ibid.

                   303  Les deux paragraphes précédents sont également inspirés du texte précédemment cité.



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