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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846







                                   Les philosophes n’ont pas négligé le corps


                                           Philosophers did not neglect body


                                         Oι φιλόσοφοι δεν αμέλησαν το σώμα



                                                                                                                                                     Nicolas Go

                                                                                                                                                      Université de Rennes, France


                   Le corps est bien souvent réduit à sa dimension physique, sinon physiologique. Et dans un contexte
                   d’étude généralement consacré à l’activité intellectuelle, il ne trouve pas sa place. Ou alors, une

                   place réservée, celle du sport, celle comme on dit en France, des «Activités Physiques et Sportives»
                   (APS).  S’en  suit  la  vieille  division  de  l’esprit  et  du  corps,  constamment  reconduite  dans  une
                   hiérarchie inégalitaire par le fonctionnement même des institutions. Je voudrais soutenir ici que le
                   problème n’est pas tant de redonner au corps toute la place qu’il mérite (comment, au demeurant,

                   définir cette place?), que d’en proposer une redéfinition. Rien n’est moins sûr, d’ailleurs, que l’idée
                   qu’on se fait de cette division corresponde à autre chose qu’une construction sociale et historique
                   de l’opinion. Que l’on se réfère, par exemple, aux travaux du médecin grec Galien de Pergame qui,

                   au deuxième siècle, n’envisageait pas qu’on puisse dissocier médecine de l’âme et du corps, faisait
                   dépendre toutes les maladies du corps et de l’âme d’un mauvais tempérament du corps sur lequel
                   elles  agissaient  à  leur  tour.  Son  traité  Que  l’excellent  médecin  est aussi  philosophe en  témoigne
                   significativement. Les Esquisses pyrrhoniennes, de Sextus Empiricus à la même époque, présentent

                   un remarquable exposé de l’importance qu’on pouvait accorder aux affects (et donc au corps) dans
                   l’activité de connaissance, proposant à la fois une philosophie comme mode de vie (agôgê) et une
                   éthologie avant l’heure. Quant à Spinoza, la question ne fait aucun doute: «l’Esprit et le Corps sont

                   une seule et même chose» (Éthique III, prop. 2 scolie), affirme-t-il, précisant ensuite: «personne n’a
                   jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps». Deleuze a de son côté beaucoup insisté sur ce
                   point (voir par exemple son Spinoza, philosophie pratique), que je souhaiterais reprendre à mon
                   tour, dans le contexte plus particulier de l’éducation. Non pas: que doit-on enseigner? Mais: que

                   peut  le  corps?  C’est  une  affaire  radicale  de  présupposé.  Partir  non  pas  des  recommandations
                   transcendantes de l’institution d’État, mais des effets immanents de l’expérience. On ne sait pas ce
                   que peut le corps (son pouvoir de pâtir et d’agir), et plus largement ce que peuvent les corps (dans

                   leurs rencontres), il faut donc expérimenter. S’agit-il d’apprendre à écrire? La question n’est pas:




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