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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Ceci  étant  dit,  je  souhaiterais  attirer  l’attention  sur  trois  points:  d’un  point  de  vue
                   théorique, l’ancienne distinction de l’âme et du corps ne doit pas faire oublier le caractère

                   nécessaire des relations entre les deux, et ceci dès Platon; ensuite, si l’on s’en tient aux
                   pratiques philosophiques effectives, le corps a tenu une place beaucoup plus importante

                   qu’on ne l’envisage généralement; enfin, concernant la pratique éducative, la reprise et
                   transformation de la question spinoziste «que peut le corps?» pourrait bien constituer un

                   levier important contre les apories de la sempiternelle formule «que faut-il enseigner et
                   comment?».


                   Premier point: le thème de la séparation de l’âme et du corps renvoie, de façon beaucoup
                   plus essentielle, à celle de leurs rapports. Si la doctrine platonicienne (et pythagoricienne)

                   a affirmé cette séparation, nombreuses sont les théories qui l’ont contestée, à commencer
                   par Aristote lui-même qui considérait deux aspects inséparables d’une même substance,

                   ou Épicure et avec lui Lucrèce pour qui l’âme est corporelle, naît et meurt avec le corps
                   auquel elle est intimement liée («l’âme se mêle si intimement aux veines, à la chair, aux

                   nerfs, aux os, que les dents elles-mêmes participent à la sensibilité» de natura rerum III-
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                   686) , ou encore Galien de Pergame qui faisait dépendre toutes les maladies du corps et de
                   l’âme d’un mauvais tempérament du corps sur lequel elles agissaient à leur tour. Mais plus
                   encore, Platon lui-même, bien qu’affirmant du corps qu’il «nous tient en esclavage», «nous

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                   ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser» , reconnaît précisément la relation
                   âme-corps et, très longtemps avant Galien, définit cette relation en terme d’équilibre:


                          «pour ce qui concerne la santé et la maladie, la vertu et le vice, aucun équilibre et

                          aucun déséquilibre ne présentent plus d’importance que ceux de l’âme elle-même
                          avec le corps lui-même […]: ne mouvoir ni l’âme sans le corps, ni le corps sans
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                          l’âme» .

                   Qu’il s’agisse des affections du corps, des illusions des sens, ou des passions de l’âme, la

                   recherche  de  la  vérité  requiert  toujours  en  même  temps  un  travail  sur  le  corps,  et  la
                   philosophie commence avec le corps: si le corps se présente comme un cachot, c’est moins

                   par l’œuvre du corps lui-même que par celle du désir, car c’est le prisonnier lui-même qui



                   1  Lucrèce, J.,K.,-T., De natura rerum, trad. par Kany-Turpin, J.,: livre III, Paris: GF-Flammarion, 1998.

                   2  Platon, Phédon, trad. par Chambry, E., Paris: GF-Flammarion, 1965.

                   3  Platon, Timée, trad. par Brisson, L., Paris: GF-Flammarion, 1992.



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