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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
Une catharsis, oui, d’une certaine façon, mais avec le secours de la littérature et de la
philosophie, nous en étions plus que jamais convaincus, même si le chemin pour y parvenir
était encore bien long et que nous n’y avions fait que les premiers pas. En appui sur
quelques textes du poète, de l’écrivain, du philosophe, qui ont ce pouvoir de nous porter.
En appui aussi sur des objets et des images, des lectures, des récits associés dans le sillage
du vaisseau fantôme. En appui aussi sur la culture, les légendes, les mythes. Des ateliers qui
ne s’interdisent pas de «faire signe» vers les formes, les gestes, les sons, l’univers sensible...
Qui ne s’interdisent pas non plus le passage à l’écriture, autre forme sculptée dans l’espace
intérieur....
Rencontre avec les patients de l’hôpital psychiatrique
Faut-il rappeler ici que l’île de Leros a accueilli l’un des plus grands centres d’hospitalisation
psychiatrique de la Grèce? Qu’y ont été hébergés plusieurs milliers de patients, dans des
lieux qui ont laissé un patrimoine architectural dont l’empreinte physique et mémorielle
est encore particulièrement vive, d’autant plus vive que l’influence italienne y a favorisé
une hospitalisation ouverte? Lorsque nous l’avions pour la première fois «visité», pour la
première fois parcouru les bâtiments désertés ce jour-là, et pour la première fois arpenté
l’espace pavillonnaire où résident encore quelques patients, aussitôt le présent de l’île,
celui des réfugiés hébergés dans le camp et sous la tente jouxtant le territoire de l’hôpital
était venu se greffer sur ce passé comme enkysté dans la terre et la mémoire de Leros. Et
comment n’aurions-nous pas eu à l’esprit cet autre passé en écho, celui des exilés et
assignés à résidence lors de la dictature militaire des années 1970? Comment aussi ne pas
penser que la mémoire de Leros était inévitablement habitée, hantée de ces échos que
ravivait chaque arrivée des réfugiés?
Lorsque nous avons rencontré les patients de l’hôpital, grâce au dévouement et à
l’engagement de Styllan Senar, le jeune psychiatre qui y accomplissait une partie de son
internat, nous avons très vite compris qu’il n’y avait pas d’autre voie que de laisser l’artiste
aller, dans la seule médiation du travail artistique, au-devant des mondes qu’habitaient les
malades. Le thème de l’atelier était le même, celui du «vaisseau», du bateau, et les
matériaux toujours les plus simples: quelques morceaux de bois, de ficelle, de plastique,
quelques cailloux, un pistolet à colle. Trois ou quatre patients s’affairaient à leur propre
bateau autour de Yves Henri, dans la grande salle où les autres malades s’occupaient avec
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