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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
Agamben, reste donc de penser l’articulation entre les techniques du soi comme
techniques d’individuation, et les techniques de domination qui aboutissent, dans les États
du XX ème siècle, aux processus totalitaires du contrôle de la «vie nue, bloss Leben», selon
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l’expression de Walter Benjamin .
Comment s’effectue cette articulation? Comment un biopouvoir peut-il prendre le contrôle
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sur les techniques de soi? Comment s’organise cette «servitude volontaire» ?
Des éléments de réponses sont apportés par l’analyse que fait Walter Benjamin de
l’esthétisation de la vie politique, dont il montre qu’elle appartient à la logique totalisante
des pouvoirs fascistes. Dans l'épilogue de son texte L'œuvre d'art à l’époque de la
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reproductibilité technique , il analyse le processus de prolétarisation de l'homme
contemporain et met en exergue certains traits fondamentaux du fascisme comme
politique de gouvernement des hommes, dont le principal est l'esthétisation de la vie
politique, l’abandon de tout rapport rationnel au débat et au combat politiques: «Les
masses ont le droit d'exiger une transformation du régime de la propriété; le fascisme veut
leur permettre de s'exprimer tout en conservant ce régime. Son aboutissement logique est
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une esthétisation de la vie politique» . Cette logique de l'esthétisation de la politique
culmine dans la guerre, comme mobilisation générale humaine et technique, comme
expression de la violence retournée dans laquelle les hommes deviennent les propres
exécutants de la violence qui leur est faite, comme spectacle final de l'anéantissement du
monde humain.
La guerre étrangère supposait la désignation d’ennemis extérieurs, la guerre totale
trouvera sa légitimation dans l’invention d’ennemis intérieurs. L’esthétisation de la vie
politique est le processus par lequel les passions personnelles sont prises en charge par le
biopouvoir qui a la charge d’administrer la peur, la haine, la soumission aux chefs, et la
satisfaction d’être asservi.
257 Benjamin, W., Critique de la violence, Œuvres I, Paris: Folio Gallimard, 2000, p. 240.
258 La Boétie, E. de, Discours de la servitude volontaire, Paris: Mille et une nuits, 1997.
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Benjamin, W., L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, version de 1939, trad. par
Gandillac de M., Paris: Gallimard, 2008.
260 Benjamin, W., Critique de la violence, op.cit., p. 111.
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