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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Structure des théories raciales

                   Le racisme est donc une technologie de la domination qui fait de chaque homme la source

                   même de son propre dressage: la technologie contrôle les passions pour les orienter et les
                   rendre incontrôlables face aux objets qui leur sont désignés comme ennemis de leur vie

                   nue,  de  leur  simple  vie  biologique.  Cette  technologie  s’appuie  essentiellement  sur  un
                   corpus de discours: les théories raciales, dont il faut préciser rapidement la structure. Elle

                   s’articule selon deux axes principaux: l’affirmation de l’inégalité des vies humaines (et non
                   des hommes), la généalogie de cette inégalité selon l’histoire des groupes humains qui les

                   rendent  possibles  (et  non  l’inverse,  contrairement  à  des  analyses  trop  rapides  et  très
                   répandues:  l’inégalité n’est  pas  déduite  des différences  «raciales»,  elle est postulée  au

                   fondement même de tout discours sur la «race»).

                   Les  théories  raciales  commencent  leur  redoutable  carrière  lors  de  l’apogée  du

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                   colonialisme ,  lorsque  l’universalité  rêvée  par  les  Lumières  s’est  transformée  en  la
                   domination universelle de processus économiques et sociaux qui ont permis l’expansion

                   mondiale  du  capitalisme.  Elles  prétendent  mettre  en  échec  scientifiquement  le
                   créationnisme sur lequel s’appuyait jusque là les théories de la domination: les peuples non

                   occidentaux n’ayant pas bénéficié de la Révélation divine, il appartenait aux Européens
                   d’éduquer à la Foi les âmes égarées (à partir de la décision ecclésiastique qui leur accorda
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                   effectivement une telle âme, cf. ) . Ce qui est remarquable, c’est qu’elles précèdent leur
                   propre usage. Objet de curiosité à l’origine, elles forcent cependant à se placer sur leur

                   propre terrain, qui se veut scientifique, ou, tout au moins, qui revendique une scientificité
                   en construction. La plus importante est portée par l’ouvrage de Gobineau: De l’inégalité

                   des races humaines. Mais ce qui est intéressant est le débat intellectuel qui les entoure. Si
                   Gobineau  s’appuie  sur  un  darwinisme  monogéniste  (une  seule  origine  des  groupes

                   humains), ses adversaires, comme Paul Broca sont contraints, en restant sur le même sol,
                   d’imaginer  un  polygénisme,  opposé  à  la  fois  au  créationnisme  comme  au  darwinisme



                   261   Il  faut  abandonner  l’idée  dangereuse  que  le  «racisme  aurait  toujours  existé»,  d’abord  parce
                   qu’alors on ne voit pas bien comment lutter contre lui, et ensuite parce que, se privant de tout outil
                   d’analyse, on se borne alors à en limiter les effets. Il y a toujours eu des exactions contre des groupes
                   minoritaires dans les cités lorsqu’un certain nombre de conditions se trouvaient réunies. Mais le
                   racisme, en tant que tel, n’apparait qu’avec la conceptualisation de la «race».

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                      Carrière, J., C., La controverse de Valladolid, Paris: Le Pré aux clercs, 1992.

                   263  Ce roman est un outil pédagogique de premier plan, pour comprendre la genèse d’une question
                   et ses séquelles historiques.



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