Page 192 - Amechanon_vol1_2016-18
P. 192

Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   n’importe qui avec n’importe qui, ce qui présuppose l’abandon des places et des positions.
                   La  désidentification  suppose  la  dissociation  (vis  à  vis  d’un  groupe,  d’un  clan  ou  d’une

                   minorité).  Ce  qui  implique  que  l’enseignant  ne  «voit»  plus  de  telles  appartenances,
                   ethniques, sociales, etc. dans sa classe.


                   La seconde conséquence est l’instauration d’une relation éthique fondée sur la parrhésia
                   et non sur la séduction ou sur la bienveillance inégalitaire. Le maître capable d’étayer la

                   construction éthique des élèves est celui qui met en cohérence ce qu’il pense et ce qu’il
                   fait,  donc  ce  qu’il  déclare  publiquement  sur  son  action,  en  abandonnant  toutes  les

                   procédures  de  secret,  de  manipulation  des  élèves  les  uns  contre  les  autres,  etc.  La
                   parrhésia, comme discours de vérité, consiste à dire ce qui est un obstacle à l’émancipation

                   de soi-même, dans une pratique, une attitude, relativement au cadre de l’action collective
                   qui a été explicitée dans la classe. Elle n’est pas imputation de fautes – le maître ne tient

                   pas de discours moralisateur – mais rappel constant des objectifs d’apprentissages et de
                   développement que la classe a formulés. Une relation construite sur la  parrhésia est la

                   source de la confiance éducative, qui résulte de la vérification par les élèves de l’égalité des
                   intelligences. La confiance est celle que l’enseignant met dans l’intelligence de ses élèves

                   qui, en retour, ouvre celle que les élèves placent dans l’intelligence du maître pour les aider.
                   Cette relation symétrique tend à compenser l’asymétrie des savoirs et celle des volontés

                   et ainsi – résultat essentiel – contribue à la construction de la confiance que les élèves
                   trouveront  en  leur  propre  intelligence,  qui  leur  sera  nécessaire  pour  échapper  à  la

                   résignation et au consentement à la domination.

                   La parrhésia ouvre une éthique de la vérité dans laquelle la formation de soi-même peut

                                                             271
                   échapper à l’idéologie ou à l’ «infra-idéologie»  telle qu’elle peut résulter des éthiques de
                   la compassion ou même de la reconnaissance. Si les éthiques compassionnelles déplacent

                   la  relation  asymétrique  entre  les  agents  moraux  pour  la  transformer  en  subalternité
                                                                   272
                   permanente de ceux qui souffrent et que l’on assiste , des études récentes montrent que
                   les effets politiques de l’éthique de la reconnaissance se limitent souvent à une lutte pour
                   le contrôle d’institutions de moindre subalternité mais toujours assujetties à une hiérarchie




                   271  Macherey, P., Le sujet des normes, Paris: Éditions Amsterdam, 2014.

                   272  Moreau, D., «L’éthique professionnelle des enseignants: une pratique de soi vers l’émancipation
                   d’autrui», dans: Formation et pratiques d’enseignement en questions, Revue des HEP n°20, Genève,
                   2015.



                                                           192
   187   188   189   190   191   192   193   194   195   196   197