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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
origine des problèmes sensoriels, source de souffrances que nous ne voyons pas.
L’hypersensibilité aux sons et à la lumière provoque une détresse que l’enfant autiste peine
à surmonter. Les réactions de l’adulte peuvent violemment intensifier ses crises lorsque,
par exemple, il force l’enfant à s’assoir, tandis qu’il baigne dans une lumière qui lui est
aveuglante, ou qu’il perçoit des sons qui lui font mal. Les crises apparaissent alors comme
un chaos de cris et de coups. Comme une machination qui prive l’enfant de son enfance.
La violence de ses cris et de son corps paraît en collision avec le monde. Elle donne à voir
des tensions qui demeurent incomprises, si on les interprète en termes d’opposition et de
négation. En effet, la violence des crises n’est pas la «violence contre», de même que la
différence n’est pas la «différence entre». Si la différence peut se dire de la violence des
crises autistiques, c’est au sens d’une confrontation entre deux intensités. Celle du monde,
saturée de signes, et celle intérieure, de la souffrance de leur imperception 288 . Car la crise
surgit dans l’outrance des signes, rapportant l’enfant et le monde l’un à l’autre, dans une
contemporanéité du débordement. En effet, la différence n’est pas entre le monde et
l’enfant, mais elle est constitutive du monde, en même temps qu’elle est constitutive de
l’enfant. Aussi, l’enfant autiste n’agit-il pas dans un autrement, au sens d’un désaccord
absolu. Mais il agit à l‘intérieur d’un autre plan, celui du propre-à-soi, où la différence peut
se dire de la différence pure. Comprendre cette hypothèse nécessite de reposer le
problème de la différence en le situant dans une polarité qui comprend deux modalités du
rapport au monde et à soi. Un premier pôle peut être décrit comme la quête de l’identique
à soi. Nous le nommons l’identiquement. Le second a pour forme la saisie du propre-à-soi.
Nous le nommons le mêmement. L’enjeu d’une telle distinction est de penser ce qui, dans
les rapports au corps que l’on observe dans l’autisme, peut se dire de la différence pure.
La différence pure ne saurait être subordonnée aux analogies et aux ressemblances. Elle
ne peut pas se dire dans la comparaison ni dans la représentation. Aussi, l’identiquement
n’existe pas en tant que tel. C’est seulement du reconnaissable et du rapporté à soi. C’est
l’illusion du déjà-vu et du déjà-vécu. L’identiquement, c’est l’apaisement du sujet qui se
rassure par la croyance qu’il y a un peu de son reflet, dans les reflets des autres. C’est le
choix de la circularité des rencontres avec les corps, plutôt que de la singularité: Tu agis
comme moi et mon geste est le recommencement du tien. En ce sens, l’imitation est bien
la jouissance de l’identiquement. Car imiter, c’est entrevoir la possibilité des analogies qui
288 Merleau-Ponty, Μ., Phénoménologie de la perception, Paris: Gallimard, 1945, p. 327.
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