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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   valident les ressemblances. En effet, si je peux imiter tes gestes, n’ai-je pas raison d’avoir
                   foi en l’identiquement pour bâtir un savoir sur moi et le monde?


                   Il apparaît cependant que, dans l’identiquement, il y a quelque chose de contraint et de
                   forcé du regard, pour se convaincre qu’il y a du pareil tout autour de soi. L’identiquement

                   dit le geste taxonomique qui rassemble les choses vues et les range par catégories et par
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                   classes, avec plus ou moins de lucidité et d’arbitrarité . L’identiquement, c’est l’habitude
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                   majoritaires.  Critères  qui  catégorisent  les  êtres  et  les  choses  en  vue  d’organiser  les

                   distributions dans le semblable et le différent. Car l’être, dans l’identiquement, se vit du
                   point de vue de ses rapports aux autres, en tant que ces rapports sont d’analogies ou de

                   différences.

                   Chez la personne avec autisme, il n’existe pas d’identiquement. Le reflet du corps des
                   autres n’est pas atteinte de soi. Leur langage ne laisse nulle trace dans la voix des autistes.

                   Les pensées des autres, ce sont toujours leurs pensées à eux. La personne autiste se vit

                   donc  en  dehors  de  tout  modèle,  aussi  ses  gestes  répétés  ne  sont-ils  pas  des
                   recommencements.  En  ce  sens,  l’autisme  est  du  côté  du  mêmement,  c'est-à-dire  du
                   propre-à-soi. Et non de l’identiquement, c'est-à-dire du relativement aux autres. En tant

                   que modalité, le mêmement ne relève pas de la comparaison, qu’elle soit de moi avec

                   l’autre ou de moi avec moi-même. Il n’est pas non plus de l’ordre de la reproduction du
                   même. Autrement dit, il n’est pas de crise ou de répétition qui aurait pour origine une crise
                   ou une répétition antérieure. Il semble plutôt qu’il y ait à chaque fois coexistence de toutes

                   les crises et de toutes les répétitions. S’il est possible de parler de différence pure, sans

                   doute  est-elle  de  l’ordre  d’une  coexistence.  Aussi  la  répétition  autistique  peut-elle
                   permettre  de  penser  la  différence  parce  qu’elle  exclut  le  retour  de  l’identique.  Cette

                   exclusion ouvre la voie à une modalité qui tend vers la saisie de la différence, dont l’instant
                   constitue les conditions d’émergence. Autrement dit, il s’agit de penser la différence en

                   tant que saisie, dans l’instant, de l’intensité.

                   Ce problème fait du mêmement une modalité de la sélection. Et ce qui est sélectionné, c’est
                   l’intensité. La répétition autistique, en tant qu’ «épreuve sélective» (D.&R.,45), est alors une

                   mise à l’épreuve de la réalité et elle permet de penser «quelles différences peuvent être


                   289  Afin d’éviter toute ambiguïté, précisons que tout autre est le classement tel que les autistes le
                   pratiquent.



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