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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   L’innommable exclusion

                   La question de l’éducation des enfants autistes oblige à s’interroger sur la notion d’égalité

                   et à voir comment  elle  peut  fonctionner  par rapport  à celle de  différence.  Dans  notre
                   système  scolaire  actuel,  le  contraire  de  l’égalité  n’est  pas  l’inégalité.  C’est  l’exclusion.

                   L’innommable exclusion, surgissement du «vieux problème» ou «comment vivre, une seule
                                                                               282
                   seconde, jeune ou vieux, sans aide, sans guide, de leur vie à eux» ?

                   Très peu d’enfants autistes, en France, fréquentent les classes ordinaires. D’abord tenus

                   pour fous, puis pour handicapés, ensuite pour malades et maintenant pour des personnes
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                   faisant  partie  de  la  neurodiversité  de  l’humain ,  les  autistes,  quelles  que  soient  les
                   catégories  auxquelles  les  autorités  médicales  et politiques  les  identifient,  sont  tenus à
                   distance de l’espace et du temps scolaires. La majeure partie des jeunes autistes fréquente

                   l’hôpital de jour plutôt que l’école. Passés l’âge de douze ans, ils sont maintenus chez eux

                   sans aide, ni pour eux, ni pour leur famille. L’exclusion de ces enfants a valu à la France cinq
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                   condamnations du Conseil de l’Europe  pour maltraitance... Cette situation questionne
                   l’ensemble de notre système éducatif, ses principes et ses valeurs, et elle questionne aussi
                   la société tout entière, en ce qu’elle ne parvient toujours pas à permettre à chaque enfant

                   qui naît de devenir un adulte ayant accès à ses droits fondamentaux, dont le plus précieux,
                   mais aussi le plus fragile, est le droit à l’autonomie.


                   Exclure consiste à dire que «C’est entendu, il n’y a rien à en tirer, n’insistons pas, il n’est pas

                   dangereux» (B.&R.,64). Et l’exclu de murmurer ce que son

                          «humanité  suffoque,  aux  oubliettes,  garrotté,  au  secret,  au  supplice,  un  petit
                          halètement de condamné à vivre, pour balbutier ce que c’est que d’avoir à célébrer

                          la  relégation,  attention.  Pah,  ils  sont  tranquilles,  je  suis  emmuré  de  leurs
                          vociférations, personne ne saura jamais ce que je suis, personne ne me l’entendra
                          dire, même si je le dis, et je ne le dirai pas, je ne pourrai pas, je n’ai que leur langage
                          à eux, si si, je le dirai peut-être, même dans leur langage à eux, pour moi seul, pour

                          ne pas ne pas avoir vécu en vain, et puis pour pouvoir me taire, si c’est ça qui donne


                   282  Beckett, S., L’innommable, Paris: Les Éditions de Minuit, 1953, p.80 (désormais entre parenthèses
                   à l'intérieur du texte: I.).

                   283
                      Comme  le revendiquent actuellement des autistes  porte-parole de tous les autistes, comme
                   Hugo Horiot ou Josef Schovanec.

                   284  Callennec, S., Chapel, F., Autisme, la grande enquête, Paris: Les Arènes, 2016.



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