Page 203 - Amechanon_vol1_2016-18
P. 203
Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
L’innommable exclusion
La question de l’éducation des enfants autistes oblige à s’interroger sur la notion d’égalité
et à voir comment elle peut fonctionner par rapport à celle de différence. Dans notre
système scolaire actuel, le contraire de l’égalité n’est pas l’inégalité. C’est l’exclusion.
L’innommable exclusion, surgissement du «vieux problème» ou «comment vivre, une seule
282
seconde, jeune ou vieux, sans aide, sans guide, de leur vie à eux» ?
Très peu d’enfants autistes, en France, fréquentent les classes ordinaires. D’abord tenus
pour fous, puis pour handicapés, ensuite pour malades et maintenant pour des personnes
283
faisant partie de la neurodiversité de l’humain , les autistes, quelles que soient les
catégories auxquelles les autorités médicales et politiques les identifient, sont tenus à
distance de l’espace et du temps scolaires. La majeure partie des jeunes autistes fréquente
l’hôpital de jour plutôt que l’école. Passés l’âge de douze ans, ils sont maintenus chez eux
sans aide, ni pour eux, ni pour leur famille. L’exclusion de ces enfants a valu à la France cinq
284
condamnations du Conseil de l’Europe pour maltraitance... Cette situation questionne
l’ensemble de notre système éducatif, ses principes et ses valeurs, et elle questionne aussi
la société tout entière, en ce qu’elle ne parvient toujours pas à permettre à chaque enfant
qui naît de devenir un adulte ayant accès à ses droits fondamentaux, dont le plus précieux,
mais aussi le plus fragile, est le droit à l’autonomie.
Exclure consiste à dire que «C’est entendu, il n’y a rien à en tirer, n’insistons pas, il n’est pas
dangereux» (B.&R.,64). Et l’exclu de murmurer ce que son
«humanité suffoque, aux oubliettes, garrotté, au secret, au supplice, un petit
halètement de condamné à vivre, pour balbutier ce que c’est que d’avoir à célébrer
la relégation, attention. Pah, ils sont tranquilles, je suis emmuré de leurs
vociférations, personne ne saura jamais ce que je suis, personne ne me l’entendra
dire, même si je le dis, et je ne le dirai pas, je ne pourrai pas, je n’ai que leur langage
à eux, si si, je le dirai peut-être, même dans leur langage à eux, pour moi seul, pour
ne pas ne pas avoir vécu en vain, et puis pour pouvoir me taire, si c’est ça qui donne
282 Beckett, S., L’innommable, Paris: Les Éditions de Minuit, 1953, p.80 (désormais entre parenthèses
à l'intérieur du texte: I.).
283
Comme le revendiquent actuellement des autistes porte-parole de tous les autistes, comme
Hugo Horiot ou Josef Schovanec.
284 Callennec, S., Chapel, F., Autisme, la grande enquête, Paris: Les Arènes, 2016.
203