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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                          droit au silence, et  rien n’est moins sûr,  c’est eux  qui détiennent le silence, qui
                          décident du silence, toujours les mêmes, de mèche, de mèche, tant pis, je m’en fous
                          du silence» (B.&R.,64-65).


                   Dans les problématiques de l’inclusion scolaire, dans la recherche d’une école égalitaire,

                   l’on a oublié que l’être humain, même quand il ne peut pas parler, est un être de langage.
                   On le voit très bien dans ce roman de Beckett, qui peut être lu comme si son auteur avait

                   parlé pour les autistes — et non pas à la place d’eux. Ce qui est violent dans ce récit de la

                   cruauté, c’est la relégation de la parole. L’exclusion scolaire relève de cette violence-là. Elle
                   est un exil de l’enfant dont le corps crie et la parole se tait. L’on sait pourtant, aujourd’hui,
                   que l’extrême difficulté à communiquer de nombreux enfants autistes n’est ni le signe ni

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                   la  cause  d’une  déficience  intellectuelle .  L’on  sait  aussi  qu’ils  peuvent  apprendre  à
                   communiquer à l’écrit, grâce à des écrans adaptés, comme le montre magnifiquement le
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                   film  documentaire  sur  l’autisme,  Wretches  &  Jabberers .  Pourtant,  d’une  réforme  à
                   l’autre,  perdure  le  balancement  de  l’inclusion  et  de  l’exclusion.  L’École  disperse  les

                   différences plutôt que de les rassembler, aussi échoue-t-elle devant la première de ses

                   missions: être égalitaire, c'est-à-dire scolariser tous les enfants.

                   Pour l’École, le corps de l’autiste en dit trop, avec ses poignets qui se figent, ses doigts
                   écartés qui pointent le vide, et ses jambes, qui tantôt ordonnent une course folle et tantôt

                   abandonnent le coureur. La voix, elle, n’en dit pas assez. Peut-être pour se «donner droit
                   au silence». Elle semble obéir au regard, qui cherche au loin un point où s’accrocher, puis

                   se colle sur les objets, dans une proximité avec le monde où tout devient simple et clair.
                   Avec ses drôles de manières d’être, l’enfant autiste renvoie l’École à ses insuffisances, à ses

                   manques, à ses négligences. Que faire de ce corps qui ne saurait se maintenir longtemps
                   assis?  Que  dire  à  cette  bouche  qui  ne  parle  pas?  Que  montrer  à  ces  yeux,  fuyant

                   continûment les autres yeux? Pour l’enfant autiste sans accompagnement, l’organisation
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                   de  l’école  semble  rigide  et  pesante.  Les  rythmes  scolaires   ne  répondent  pas  à  son
                   rapport au temps. L’encadrement au sein des établissements lui est un dispositif odieux.

                   Les programmes scolaires, ignorant de ses intérêts particuliers, lui apparaissent dénués de

                   285  Il est vrai que certains enfants autistes ont une déficience. Mais pas tous, loin de là! Malgré de
                   récentes recherches, l’on continue à confondre l’absence de langage oral et la déficience. À ce sujet,
                   voir les travaux de Laurent Mottron.

                   286  https://www.wretchesandjabberers.org/

                   287  Dans l’organisation en cycles du Premier degré.



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