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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Que signifie, ici, subordonner la différence à l’opposition et à la négation? D’abord, cela
                   revient à dresser des listes de traits spécifiques et individuels qui, en réalité, n’ont rien à

                   voir avec la différence individuante. Ensuite, c’est soumettre la différence «aux exigences
                   de  la  représentation»  (D.&R.,340)  et  à  la  «qualité  du  Semblable»  (D.&R.,340-341).  La

                   représentation joue le jeu du modèle et de la copie, la copie valant pour ses rapports de
                   l’ordre  de  l’identique  avec  le  modèle.  Or,  considérer  les  enjeux  de  la scolarisation  des

                   enfants autistes nécessite de penser la différence sans suivre la «pente de l’identique qui
                   la porte nécessairement où l’identité veut» (D.&R.,73). Car, avec son corps de balancier,

                   avec ses bras qui zigzaguent sur des lignes invisibles, et ses yeux, qui semblent regarder à

                   travers  les  choses,  l’enfant  autiste  ne  fait-il  pas  voler  en  éclats  les  notions  mêmes  de
                   modèle et de ressemblance?

                   Ni comprise ni acceptée par les non autistes, la différence est «vue du petit côté, vue d’en

                   bas» (D.&R.,78). Ce petit côté, nous le montrerons, est celui de l’identiquement, c'est-à-dire
                   de la recherche d’une analogie avec le corps de l’autre dans la similitude avec soi. Or, la

                   personne avec autisme est dans le mêmement, c'est-à-dire dans le propre-à-soi, en tant
                   qu’expérience, dans l’instant, de l’intensité. Instansité de la différence. Cette distinction

                   entre l’identiquement et le mêmement que nous expliquons ci-après, permet de penser la
                   différence  sur  d’autres  plans  que  ceux  de  la  négation  et  de  l’opposition.  Penser  la

                   différence sur le plan du mêmement, ce sera reconnaître que, dans l’autisme, les gestes
                   répétitifs et les crises disent le dépassement et l’intensité.


                   L’enjeu de cette étude est donc à la fois pratique et théorique. D’une part, il s’agit de ne

                   plus faire de l’autisme une particularité dont on parle en brandissant une liste de traits

                   spécifiques qui séparent les enfants autistes et les non autistes, puisque cela ne vise qu’à
                   maintenir  les  enfants  ayant  un  trouble du  spectre  autistique à  des  places éloignées  et

                   éloignantes, ce qui est le contraire même d’une inclusion scolaire égalitaire. D’autre part,
                   nous voulons reposer le problème de la différence. La situation actuelle des autistes dans

                   notre système scolaire invite en effet à se demander à quelles conditions il est possible de
                   penser les comportements autistiques en tant que «différences individuantes ou modalités

                   intrinsèques»,  lesquelles  ne  les  distinguent  des  non  autistes  que  du  point  de  vue  de
                   l’intensité.  Ce  problème  est  celui  de  la différence,  car,  si  la différence  peut  se  dire  de

                   l’autisme, ce serait alors au sens d’une différence d’intensité. Les agir du corps seraient
                   alors des expériences de l’intensité (D.&R.,155), au sens où, pour Deleuze, l’intensité est

                   «constituée par une différence qui renvoie elle-même à d’autres différences».



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