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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   intégralement conservé? Le vrai problème serait alors celui de l’oubli? Le vaisseau fantôme

                   et ses Naufragés éphémères ne nous disaient-ils pas quelque chose du même ordre?




                                             Bergson: matière, mémoire, oubli

                   Et c’est parce qu’il y a durée qu’il y a mémoire, et réciproquement. Chaque souvenir est un moment
                   unique de mon histoire. Aucun ne se répète entièrement. Chacun de nos souvenirs met en jeu la
                   totalité de notre histoire individuelle. On peut résumer d’un mot la leçon principale de Bergson à

                   propos de la mémoire. C’est que la mémoire n’est jamais seulement la mémoire de quelque chose,
                   mais aussi la mémoire de quelqu’un (Frédéric Worms).

                   Une autre affirmation de Bergson est encore plus radicale: selon lui, le passé est intégralement
                   conservé.  Les  souvenirs  que  nous  perdons  sont  ceux  dont  nous  n’avons  pas  besoin  pour  agir;
                   inutiles, ils passent dans la mémoire pure. Ils n’en sont pas pour autant détruits. Contre une idée
                   entretenue aujourd’hui par l’imagerie cérébrale, Bergson permet de comprendre que la mémoire

                   est plus qu’un stock de souvenirs: elle se confond avec l’intégralité de la personne.

                   Mais alors le vrai problème de la mémoire devient celui de l’oubli: si le passé  est intégralement
                   conservé,  pourquoi  ne  nous  souvenons  pas  de  tout?  Les  neurosciences  permettent  aujourd’hui
                   d’expliquer ce paradoxe: le cerveau écarte ce qui n’est pas nécessaire à l’action; mais cette richesse

                   de notre vie mentale n’est pas perdue: pour Bergson, on peut toujours retrouver ce qui est enfoui
                   au plus profond de notre mémoire. Et l’on peut ajouter que l’art emprunte tout particulièrement
                   cette  voie-là  (comme  l’illustre  notamment  l’œuvre  de  Proust,  et  le  fameux  exemple  de  la
                   «madeleine»). Ce vaisseau fantôme que Yves Henri dressera bientôt face à la mer, à Lakki, c’est notre

                   espoir, continuera par sa seule présence à tirer avec lui les mémoires de l’île de Leros.

                                                                                            Alain Kerlan

                                                                     L’art La mémoire L’histoire, Conférence
                                                                         Leros, le 26 octobre 2016 (Extraits)


                   Nous avions poursuivi en interrogeant la complicité de l’eau et de la mémoire en feuilletant
                   L’eau et les rêves de Gaston Bachelard, en évoquant avec le thème du Vaisseau fantôme la

                   légende  du  Hollandais  volant;  nous  avons  aussi  cherché  à  comprendre  ce  que  peut

                   recouvrir la notion de mémoire collective. Il est beaucoup question aujourd’hui de mémoire
                   collective, de mémoire d’un peuple, de mémoire d’un groupe, du devoir de mémoire, des






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