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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations

                   et des abus de mémoire et d’oubli». Et il en appelle à «une politique de la juste mémoire».

                   Pour promouvoir «une politique de la juste mémoire», il faut commencer par poser une
                   question simple, mais de grande portée: de quoi se souvient-on quand on se souvient? La

                   mémoire prétend être fidèle au passé, alors qu’elle relève de l’ordre de l’affection et du
                   sensible. Quand on se souvient, se souvient-on de cette impression sensible ou de l’objet

                   réel dont elle procède?

                   En raison de rapport complexe et fragile entre l’absence de la chose souvenue (elle n’est

                   pas là, elle est dans le passé) et sa présence sur le mode de la représentation (j’en ai une
                   image dans le présent), la mémoire est sujette à de multiples formes d’abus.


                   Tout en parlant, tout en me faisant l’écho de la méditation de Paul Ricœur, je mesurais de

                   mieux en mieux combien nous avions fait le bon choix en élisant pour le périple de notre
                   Vaisseau fantôme l’escale de l’île de Leros. Il me semblait que le poids et les méandres de

                   la mémoire de l’île étaient lisibles, palpables, dans l’attention des auditeurs, comme ils

                   allaient être explicites dans les échanges qui allaient suivre, dans l’intensité des questions
                   et des réflexions qu’avait suscitée la distinction qu’établit Paul Ricœur entre trois types
                   d’abus  de  la  mémoire:  la  mémoire  empêchée,  liée  à  un  traumatisme,  la  mémoire

                   manipulée, celle que mobilisent les pouvoirs à des fins idéologiques, et la mémoire obligée,

                   celle nécessaire de ce «devoir de mémoire» rendant justice aux victimes, mais qui ne doit
                   pas s’interdire l’oubli quand le pardon est possible.


                   Nous  arrivions  à  la  fin  de  la  conférence  philosophique,  et  nous  allions  bientôt  nous

                   consacrer à cette «performance artistique et philosophique» que nous avions annoncée
                   comme l’autre face de la conférence.



                                        Pour conclure: l’art, le symbole, la mémoire


                   Je voudrais conclure sur un dernier mot concernant l’art et la mémoire. Tout œuvre d’art est d’abord
                   une  forme  symbolique.  Ainsi,  si  le  vaisseau  fantôme  d’Yves  Henri  accompagné  de  son  armada
                   change de forme à Leros, s’il diffère des formes qu’il a pu prendre ou trouver sur la Saône, à Lyon,
                   sur la péniche où demeure Yves Henri, et des formes qu’il prendra ailleurs, c’est aussi en raison de

                   la charge symbolique spécifique dont il s’imprègne, tout particulièrement dans la création partagée.




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