Page 57 - Amechanon_vol1_2016-18
P. 57

Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Chant rituel et création d’un corps collectif

                   Dans de nombreux arts, et en particulier dans les arts vivants, le corps n’est pas seulement

                   expérimenté comme quelque chose d’individuel, mais il y a production d’un corps collectif.
                   Au  théâtre,  à  l’opéra,  dans  les  comédies  musicales,  des  processus  interactifs  entre  les

                   acteurs et les spectateurs produisent des expériences corporelles collectives. Il en est de
                   même  pour  les  danses,  les  performances  et  les  représentations  musicales.  Dans  ces

                   dernières, les émotions «circulent»: elles font vibrer les spectateurs à l’unisson des artistes.
                   Les  gens  sont  en  phase  avec  la  représentation  et  la  vivent  comme  une  expérience

                   enrichissante et gratifiante. Une communauté culturelle et sociale se crée, elle réunit les
                   corps en phase les uns avec les autres et crée un corps collectif.


                   Les chants rituels créent, eux aussi, des expériences du corps collectives. En Allemagne, de

                   plus en plus de gens s’adonnent à la pratique du chant rituel. En Lituanie, en Lettonie et en
                   Estonie  existent  des  traditions  chorales  importantes.  Durant  les  décennies  de  leur

                   appartenance  involontaire  à  l’Union  Soviétique,  la  pratique  des  chants  religieux  et

                   nationaux  a  contribué  à  maintenir  vivante  dans  ces  pays  une  conscience  identitaire
                   culturelle et nationale. Alors qu’en Pologne la tradition du chant choral a ses racines dans
                   le  catholicisme,  c’est  à  travers  les  traditions  des  chants  protestants  que  l’Estonie  a

                   maintenu une part de son identité culturelle. Dans ce dernier pays, la signification du chant

                   en commun s’était exprimée très clairement dans les manifestations politico-musicales de
                   la «révolution chantante» qui ont contribué au retour à l’indépendance en 1990-1991. À
                   cette époque, de nombreuses personnes se sont rencontrées régulièrement pour chanter

                   et mettre ainsi en scène leur identité culturelle, démontrant par ces manifestations leur

                   sens de la solidarité et de la communauté dans un corps collectif devenu corps politique.

                   De nos jours, plus de 20 000 personnes se rencontrent tous les cinq ans en Lettonie et en
                   Estonie pour chanter ensemble et pour affirmer à travers le chant leurs traditions et leur

                   appartenance  communautaire.  Ces  «fêtes  des  chants»  où  sont  accueillies  des  chorales
                   invitées venant de toutes les régions du pays ont lieu en été lors d’un long week-end sur le

                   «champ des chants» à Tallin ou dans le parc forestier de Riga. Beaucoup de petits villages
                   ont  des  chorales  où  sont  représentés  tous  les  âges  de  la  population.  Depuis  l’époque

                   soviétique, il y a également, à côté des fêtes des chants, des bals populaires où des milliers
                   de danseurs viennent dans les grandes villes, habillés de leurs costumes régionaux, pour

                   manifester leur identité locale.




                                                           57
   52   53   54   55   56   57   58   59   60   61   62