Page 102 - Amechanon_vol1_2016-18
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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Une relation véridique au corps serait celle qui permettrait au corps d’être en lui-même, de
                   lui-même et en direction de lui-même. Dans la Lettre sur l’humanisme, Heidegger spécifie

                   que ethos, d’où le terme éthique, signifie habiter. Dans un mode d’existence authentique,
                   l’homme habite le monde en poète. Habiter en poète signifie être relié à quelque chose

                   d’autre et de plus grand que soi-même. Habiter signifie sauver ou préserver. Habiter un
                   endroit,  son  corps,  implique  qu’une  personne  le  respecte  et  cherche  à  le  préserver.

                   Préserver son propre corps, c’est s’abstenir de le contrôler, de le manipuler, de l’exploiter
                   et de le piller. Au contraire, habiter en poète son propre corps signifie vivre en harmonie

                   avec celui-ci. Mais cette coexistence harmonieuse avec son corps ne signifie pas le laisser

                   tel quel. Elle signifie justement d’habiter en poète, c’est-à-dire conduire dans l’éclaircie ce
                   qui est déjà implicitement présent. Sauver signifie rendre une chose libre, lui rendre sa
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                   propre  présence  et  en  prendre  soin .  La  question  éthique  n’est  pas  tant  de  savoir
                   comment agir, mais comment habiter, comment être. L’homme habite la vérité de l’être

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                   en laissant l’être être . Il s’agit d’une éthique du soin, qui est une sensibilité aux lieux et
                   aux différences locales. Il s’agit donc pour l’homme de s’accommoder du rythme naturel

                   des choses. Ce qui fait que ce qui «devrait être» est contenu dans le «est», mais un «est»
                   historique. Le seul espace moral qui peut obliger l’homme est celui qui est contenu dans la

                   «vérité de l’être».

                   Préserver notre corps implique que celui-ci ne peut pas être manipulé, contrôlé et fabriqué.
                   L’acte de préservation est un acte qui reconnaît que notre nature est fragile, mortelle, que

                   notre vie en est une de contingence. Le corps humain est investi par son propre rythme,
                   par ses propres limites. Justement, «n’est-ce pas précisément la condition humaine, en tant

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                   que  celle-ci  est  corporelle,  c’est-à-dire  faillible,  que  le  sportif  tente  de  dépasser»   en
                   reprenant à son compte le leitmotiv: citius, altius, fortius?



                   L’autorégulation

                   J’aimerais poursuivre sur une note plutôt cynique. Nous avons vu que chez les Grecs, il
                   existait un écart entre l’idéal tel que formulé par différents penseurs et la pratique réelle



                   125  Heidegger, M., «…L’homme habite en poète…», dans:  Essais et conférences, Paris: Gallimard,
                   1958, p. 229.

                   126  Heidegger, M., Lettre sur l’humanisme, op.cit., p. 155.

                   127  Bordeleau, L.,P., op.cit.



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