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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   du sport. Étant donné que notre culture du sport est de plus en plus dépendante de la
                   spécialisation, du professionnalisme et du mercantilisme qui entourent nos athlètes de

                   haut niveau, il semble que cette culture sous cette forme se développe de plus en plus
                   comme une tumeur cancéreuse étant incapable de s’autoréguler. En fait, est-il possible

                   qu’un système parvienne vraiment à s’autoréguler, si les individus qui y participent croient
                   davantage à la fabrication de performance et à la mobilisation des énergies qu’à un rapport

                   poétique, c’est-à-dire éthique? Est-il encore possible que des individus puissent entretenir
                   un autre rapport au sport et à leur corps lorsqu’ils sont entourés de toute une équipe

                   composée d’instructeurs, de personnel médical et qu’ils ont accès à un équipement sportif

                   de haute performance, à une science et une technologie de fine pointe, à des organisations
                   très structurées – comme les Fédérations sportives qui énoncent leurs propres exigences
                   –  ou  encore accès  à des médias  et au public?  S’il s’agit  de  gagner  à  tout  prix,  comme

                   l’indiquait déjà Homère, qu’en est-il alors de l’idée que le sport développerait le caractère,

                   la vertu? Le sport n’a-t-il pas toujours été jugé selon des valeurs d’utilité comme gagner et
                   cela, au détriment de la santé? D’ailleurs, «on trouve déjà chez un médecin de l’Antiquité,

                   Celse, cette réflexion que l’existence d’athlète développe certes la force physique, mais ne
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                   fait pas vivre vieux» , et j’ajouterais «mieux».

                   Cette obsession du fruit de l’action, en l’occurrence la victoire à tout prix, reproduit en

                   quelque sorte la fixation de l’esprit sur l’objet de la pensée et conduit à des conséquences
                   désastreuses. Dans un monde idéal, il s’agirait de trouver une mesure qui permettrait de

                   juger le résultat à la lumière du processus fondé sur une manière d’être.

                   Obtenir la victoire sans parcourir le processus par lequel le sportif est parvenu à vaincre est

                   un geste qui cache un mensonge. Depuis l’époque des Grecs anciens, l’idéal du sport a été
                   lié à la culture de la vertu, aretê, l’excellence humaine. Ceci nous conduit à la seconde

                   inscription sur le temple de Delphes, «rien en excès». Platon s’en inspirera pour élaborer
                   son concept de sophrosunê que l’on traduit ordinairement par la vertu de tempérance, de

                   discipline,  d’autocontrôle.  Pour  y  avoir  accès,  il  faut  que  l’être  humain  développe  une
                   nouvelle  pensée,  une  nouvelle  manière  d’être.  Heidegger  parle de  pitié,  d’une  pensée

                   méditante, une manière de penser qui «laisse provenir de soi», où l’homme n’est plus la
                   mesure des choses ni celui qui accorde un sens. Il est celui qui est saisi par l’intelligence de

                   la chose. N’est-ce pas ce que plusieurs personnes tentent de dire lorsqu’ils affirment qu’il


                   128  Jünger, E., Approches, drogues, ivresses, Paris: Gallimard, 1973, p. 95.



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