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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
Si le jeu est une réactualisation du jeu cosmique, de l’agon primordial (Héraclite), qui
produit l’effet pour l’être humain de se tenir au plus près de soi, nous pouvons affirmer que
c’est la rencontre de soi qui sert de guide pour évaluer l’intégrité du jeu. À cet égard, c’est
poser la question de la place de l’être humain dans le jeu. De la même façon, c’est poser la
question de l’essence de l’être humain.
Cela signifie qu’il ne s’agit pas de bannir le développement moteur et les activités
physiques sportives, mais leur excès. Celui-ci devient possible lorsque ces activités ne
trouvent pas leur limite et leur équilibre à partir d’un questionnement philosophique.
L’équilibre se trouve dans le jeu, dans le mouvement de va-et-vient entre l’activité et son
questionnement. Il y a une sagesse du jeu comme il y en a une autre dans le jeu (espace)
entre l’activité et son questionnement. Afin de promouvoir l’activité physique avec
prudence, il faut un peu de questionnements philosophiques, de questions dont celles du
pourquoi, de la finalité, de sorte que si le jeu est une finalité sans fin, il n’en demeure pas
moins qu’il peut donner du sens. Poser la question du pourquoi, de la finalité et du sens,
c’est introduire de la subjectivité ou de la raison dans une expérience sensible. Il s’agit de
répondre à la question «qu’est-ce qu’on voit lorsqu’on examine l’activité physique?»,
«qu’est-ce qui en ressort?», «qu’est-ce qui apparaît?». L’activité motrice devient un objet
philosophique. Poser la question du pourquoi, c’est faire passer les choses sous le signe de
la nécessité à celui de la contingence, d’objet à idée. Poser la question du pourquoi, c’est
ouvrir la possibilité que les choses puissent être différentes. C’est ouvrir le champ de
l’imagination. C’est une tâche infinie qui est toujours à recommencer, car on n’en a jamais
fini avec notre vie, d’autant plus que notre corps se transforme constamment au fil des
années.
Par contre, cela ne signifie pas de juxtaposer activité physique et philosophie. Il s’agit
plutôt de faire jouer ensemble, de mettre en dialogue, en jeu, activité physique et
questionnement philosophique en les articulant les unes sur les autres. Il s’agit de passer
de la technè à la phronesis, de l’activité à l’action, du jeu à la pensée, du sensible à
l’intelligible. Kant l’a bien saisi: «des concepts sans contenu sont vides et des intuitions sans
concepts sont aveugles». Cela signifie que des pensées sans expérience sont vides et des
expériences sans concepts sont aveugles. De là que de simples activités, si elles sont
laissées à elle-même, ne peuvent pas s’autoréguler, faisant en sorte qu’elles se
transforment soit en activité de travail, perdant ainsi leur dimension de jeu, soit en
hyperactivité. En l’absence de pensée, l’un dans l’autre, l’activité n’ouvre sur rien d’autre.
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