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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
faut écouter son corps, respecter son rythme? Ceci nous reconduit directement à Husserl
qui fait la distinction entre le corps objectif de la science et le corps vécu qui indique la
subjectivité du corps. Le défi sportif ne consiste-t-il pas alors à réintroduire de la
subjectivité dans le corps? Et même un peu de divinité? Le sport en tant que manifestation
d’une essence divine se transforme en activité liée à la religion, et c’est peut-être la seule
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manière d’éviter l’hubris, la démesure, cet excès dans le calcul qui survient lorsque
l’homme se prend pour un dieu au lieu d’être pris par une expérience divine. Alors
l’homme, au lieu de se mesurer aux autres comme l’atteste l’esprit de compétition, se
mesure à la divinité pour prendre soin de soi. Ceci montre que le sport, malgré son origine
étymologique qui nous révèle que le mot sport provient de l’ancien français deport ou
desport signifiant amusement, n’est aucunement une distraction.
Je voudrais vous rappeler qu’Asclépios fut foudroyé pour avoir voulu changer la condition
humaine. Ce faisant, au lieu d’introduire de l’ordre, de la santé, il a introduit du chaos, de la
maladie. À vouloir s’auto-engendrer comme le permettent de plus en plus les hautes
biotechnologies, à l’instar du clonage, à vouloir humaniser nos performances physiques
comme le veulent nos fantasmes, nous encourons notre propre perte. Cette idée totalitaire
de la création d’un être humain nouveau correspond tout à fait à la notion de progrès telle
que conçue par la modernité. Hans Jonas a démontré que le progrès pour la modernité
consiste à améliorer les conditions matérielles et j’ajouterais la condition humaine; tandis
que pour les anciens Grecs, le progrès consistait à s’approcher d’un monde transcendantal.
Heidegger nous rappelle que la technè «ne peut jamais remplacer la physis» et devenir la
cause de la santé. «Cela ne serait que si la vie comme telle devenait une œuvre fabricable
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‘techniquement’» . Pourtant, on a l’impression parfois que «l’humanité moderne fonce
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vers ce but: que l’homme se produise lui-même techniquement» .
C’est pourquoi c’est de vigilance dont l’homme a besoin pour lui permettre de contrer la
déchéance, l’invasion d’une nature qui ne serait plus pensée dans son essence. Il s’agit dès
lors d’être attentif, ce qui signifie ici d’agir avec soin, avec précaution et prudence, c’est-à-
129 Heidegger, M., «…l’homme habite en poète…», op.cit., pp. 243-244.
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Heidegger, M., «Qu’est-ce et comment se détermine la Physis», dans: Question II, Paris: Gallimard,
1968, p. 205.
131 Ibid., p. 206.
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