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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   Plus rien ne passe ou n’émerge. Elle demeure pure excitabilité. Si les activités motrices et
                   sportives développent l’intelligence et le cerveau, sans compter tous les autres bénéfices

                   pour la santé, elles ne développent pas la pensée critique et le discernement, qui trouvent
                   leur source ailleurs, principalement dans le questionnement philosophique.


                   Penser l’activité physique implique qu’il y a et aura toujours un écart entre la pensée et
                   l’expérience, entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Cela n’est pas une faiblesse de la

                   pensée. A contrario, c’est le signe que la pensée, comme la chouette de Minerve, survient
                   toujours après l’expérience ou les événements, faisant en sorte qu’elle laisse toujours un

                   jeu, un espace, entre elle-même et le réel. La pensée excelle dans l’après-coup, dans le
                   commentaire sur l’activité. Contrairement à Parménide et Hegel, il n’y a pas d’adéquation

                   entre le réel et le rationnel, entre la pensée et l’être. Il y a un léger écart qui justement
                   donne vie à la pensée, une pensée qui laisse être le réel afin de mieux en faire ressortir la

                   valeur, la visée. C’est ce léger écart qui permet le jeu, celui de se laisser prendre au jeu, à ce
                   mouvement de va-et-vient entre la pensée et la réalité.


                   Le questionnement philosophique compris comme philosophie appliquée au champ de
                   l’activité motrice, en favorisant la culture du discernement, permet d’éviter le piège de la
                   logique  du  tiers-exclu  développé  par  Aristote  et  aussi  celui  élaboré  par  Frege  de  la

                   confusion entre les causes qui produisent une pensée et les fondements qui justifient une

                   pensée, donc entre l’ordre de la causation et l’ordre de la justification, et enfin celui des
                   jeux de langage développé par Wittgenstein. Kant peut nous offrir des outils pour éviter
                   ces pièges. Il distingue l’ordre de la détermination et celui de la liberté, l’ordre des causes

                   et celui des raisons. En ce qui nous concerne, il s’agit de distinguer entre le comportement

                   et l’action  ou  d’éviter  la genèse  avec  le sens.  C’est  pourquoi, comprendre, et non  pas
                   expliquer,  les  activités  motrices  et  sportives,  c’est  en  saisir  les  raisons.  Le  philosophe

                   américain Robert Brandom, qui s’inspire de Kant, distingue la sensibilité de la sagesse. La
                   sensibilité  est  un  phénomène  biologique  tandis  que  la  «sagesse  a  à  voir  avec  la

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                   compréhension  ou  l’intelligence,  plutôt  qu’avec  l’irritabilité  ou  l’excitabilité» .  Pour
                   Brandom,  la  priorité  doit  être  mise  «sur  la  sagesse  au  lieu  de  la  sensibilité,  sur  la

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                   compréhension au lieu de la conscience» . Il s’agit donc d’entreprendre une démarcation
                   entre l’activité et le jugement. «Non seulement nous réagissons différentiellement aux


                   142  Brandom, R., Rendre explicite I, Paris: Cerf, 2010, p. 60.

                   143  Ibid., p. 63.



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