Page 110 - Amechanon_vol1_2016-18
P. 110

Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                   l’économie de la philosophie? Cette idée de réintroduire de la subjectivité dans l’exercice
                   physique est peut-être une idée difficilement réalisable, mais comme nous le rappelle Kant,

                   «même s’il survient des obstacles à sa réalisation», cela n’indique pas que c’est une «belle
                   illusion». C’est «un idéal magnifique, et il n’y a point de mal à ne pouvoir le réaliser tout de

                         147
                   suite» .  En  ce  sens,  être  idéaliste,  c’est  peut-être  la  seule  manière  de  surmonter  le
                   cynisme.


                   Réintroduire le  questionnement  philosophique dans  les  activités  motrices  et  sportives,
                   c’est réintroduire du sens, c’est ramener ces activités à leur dimension humaine, à l’échelle

                   du bon sens. C’est aussi réintroduire du temps à ne rien faire, du temps de loisirs (scholè)
                   pour s’ennuyer, pour imaginer et pour penser. Dès lors, ces activités nous apprennent à

                   vivre en autant qu’on apprenne à penser ces activités. L’éducation physique ouvre sur une
                   éducation morale, une éducation du discernement.


                   Il découle de notre propos le besoin de repenser l’école et l’université. Sont-elles «des

                   camps  d’entraînement»  pour  produire  «des  travailleurs  qualifiés»  en  récompensant  les
                                                                                                    148
                   étudiants de plaisir? Ne devraient-elles pas plutôt être «des forums de questionnement»
                   où l’on reste souvent sur son désir de savoir? Si la pensée est un effort de distanciation,
                   n’en va-t-il pas de même alors de l’école et de l’université, si nous acceptons qu’elles sont

                   des  lieux  dédiés  aux  questionnements?  Au  pourquoi  des  choses?  Ici,  la  question  du

                   pourquoi ne signifie pas qu’on veut savoir, mais que les choses pourraient être autrement.
                   Dès lors, interroger, c’est commencer à imaginer.

                                                                                     149
                   Finalement, «il importe en priorité que les enfants apprennent à penser» , en prenant soin
                   de leur corps, et non pas en s’épuisant. Ce faisant, il devient possible de redonner aux
                   activités motrices et sportives le sens de la fête, telle que vécue chez les Grecs anciens.

                   C’est probablement ce sens de la fête qui permet de donner aux jeux leur équilibre, qui
                   n’existe  pas  en  soi,  mais  qui  émerge  d’un  questionnement  de  la  raison.  Questionner

                   devient le jeu suprême, celui auquel s’adonne les dieux: s’amuser à penser parce qu’on n’a
                   rien à faire. Ce qui implique réintroduire de l’ennui.



                   147  Kant, E., «Propos de pédagogie», dans:  Œuvres philosophes, tome III, Paris: Gallimard, coll. La
                   Pléïade, 1986, p. 1152.

                   148  Manguel, A., De la curiosité, Arles: Actes Sud, 2015, p. 12.

                   149  Kant, E., op.cit., p. 1158.



                                                           110
   105   106   107   108   109   110   111   112   113   114   115