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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



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                   inégalitaire . Ainsi est-il permis de porter le doute, de manière argumentée, sur les effets
                   sociaux  et  politiques  des  accès  privilégiés  accordés  à  des  élèves  issus  de  milieux

                   «reconnus» comme traités inégalitairement, qui les conduisent vers les filières élitistes.
                   Une telle «reconnaissance» demeure, in fine, celle d’un ordre transcendant qui objective

                   les distributions sociales et politiques.

                   Si le racisme est l’enracinement biologique d’une inégalité des vies humaines jusqu’à la

                   négation du droit même à vivre pour ceux qui sont privés de dignité, seule paraît légitime,
                   pour s’y opposer, une éthique de la vérité, qui ne s’enracine pas dans ce contre quoi elle

                   prétendrait lutter: le postulat d’une inégalité de départ, qu’il faudrait atténuer ou corriger.
                   Or  à  l’école,  comme  dans  la  vie  sociale,  une  éthique  de  la  vérité  est  celle  qui  affirme

                   positivement que ce sont nos actes, en cohérence avec notre savoir, qui nous éclairent,
                   non sur ce qui nous sommes, mais sur qui nous devenons. Nous ne sommes ni blancs ni

                   noirs, mais nous pouvons le devenir, en rejoignant la place qui nous est préparée dans la
                   distribution inégalitaire. Mais nous pouvons aussi être aidés à ne devenir ni blancs ni noirs,

                   c’est-à-dire, être aidés à nous dissocier de toute appartenance préalablement attribuée
                   pour conduire notre propre désidentification: comme citoyen de la cosmopolis, comme le

                   pensaient les Stoïciens, comme acteur critique du monde contemporain.

                   C’est bien la tâche de l’éthique professionnelle des enseignants que d’aider à agir dans la

                   direction  de  son  émancipation,  par  la  construction  des  savoirs  et  par  la  vérification
                   concrète, à travers elle, de l’égalité. L’éthique professionnelle des enseignants est le fruit
                   d’une construction individuelle et collective par laquelle chacun, à travers des pratiques

                   orientées vers l’émancipation de ceux que l’on forme, se forme lui-même dans l’espace de

                   jeu ouvert par les institutions éducatives, lorsqu’elles ne sont pas des formes coercitives
                   structurées comme des techniques de domination, comme le furent celles du III ème  Reich

                   ou  de  la  République  sud-africaine  du  temps  de  l’apartheid.  Face  aux  injonctions
                   institutionnelles  et  sociales,  les  enseignants  développent  des  conduites  qui  leur

                   permettent de résoudre des problèmes éthiques concrets, en dehors de toute obéissance
                   à des préceptes externes, et construisent ainsi des normes qui déplacent insensiblement

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                   les rapports de force au sein des institutions .

                   273  Cukier, A., Delmotte, F., Lavergne, C. (dir.), Émancipation, les métamorphoses de la critique sociale,
                   Broisssieux: Éditions du Croquant, 2013.

                   274  Moreau, D. (coord.), L'éthique professionnelle des enseignants: enjeux, structures et problèmes,
                   Paris: L' Harmattan, 2012.



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