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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846
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scander les mots comme il le fallait, de les prononcer, de les prononcer à mi-voix» . Pour
«unifier ces fragments hétérogènes par leur subjectivation dans l’exercice de l’écriture
personnelle», Sénèque utilise la métaphore de la digestion: «Digérons la matière:
autrement elle passera dans notre mémoire, non dans notre intelligence [in memoriam non
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in ingenium]» . Foucault ajoute:
«Le rôle de l’écriture est de constituer, avec tout ce que la lecture a constitué, un <
corps > (quicquid lectione collectum est, stilus redigat in corpus). Et ce corps, il faut
le comprendre non pas comme un corps de doctrine, mais bien —en suivant la
métaphore si souvent évoquée de la digestion —comme le corps même de celui
qui, en transcrivant ses lectures, se les est appropriées et a fait sienne leur vérité:
l’écriture transforme la chose vue ou entendue < en forces et en sang > (in vires, in
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sanguinem)» .
Certes, ces images corporelles de la conception stoïcienne de la lecture et de l'écriture
n’ont pas un lien direct avec les inscriptions, la scarification ou les récits et rituels
amérindiens. Cette approche, bien que difficile, nous offre cependant une façon de
repenser les termes et les conséquences d'une conception corporelle de la lecture et de
l'écriture. Sous l'inspiration des pratiques et conceptions culturelles amérindiennes, nous
ne voulons pas nourrir des propositions pédagogiques new age. Cette approche c’est
surtout un moyen d'identifier et d'explorer de nouvelles façons de penser et de travailler
l’apprentissage de la lecture et de l'écriture à partir d'un point de vue philosophique
contraire soit à un essentialisme soit à une perspective purement instrumentale de la
pensée. L’incorporation n’est pas une simple métaphore, elle est un exercice de
métamorphose (pour mentionner une idée centrale de la philosophie de l’éducation de
Didier Moreau) dans notre monde technisé — pas question de vouloir revenir à des
pratiques mythiques, religieuses ou rituelles quels qu'elles soient.
178 Foucault, M., «L’écriture de soi», dans: (ed.)Defert, D., Ewald, F., Dits et écrits 1954-1988, 4, Paris:
Gallimard, 1994, p. 422.
179 Ibid., p. 422
180 Ibid.
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