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Amechanon, Vol. I / 2016-2018, ISSN: 2459-2846



                          auquel on doit arriver. […] Les devenirs ne sont pas des phénomènes d’imitation,
                          ni d’assimilation, mais de double capture, d’évolution non parallèle, de noces entre

                          les règnes» 449 .

                   En participant à un devenir, les enfants se seraient libérés des attentes et des jugements
                   des adultes, tout en laissant émerger des éléments singuliers, et réciproquement, l´adulte,
                   affecté  par  ce  même  processus,  serait  lui-même  devenu  autre  chose,  chaque  fois  plus

                   proche de l´enfant. Ce serait l´entrée dans ce même processus du devenir qui aurait permis

                   à Silvia de déconstruire ses savoirs acquis et de se libérer de préjugés, notamment au sujet
                   du corps, pour finalement percevoir dans les plus infimes détails, des éléments singuliers

                   de l´enfance là où d´habitude un adulte ne voit que des erreurs à corriger.

                   Ainsi, pour Silvia, comme ce fût progressivement le cas pour tous les autres professionnels
                   de  l´équipe,  l’artiste  n'étant  elle-même  plus  un  enfant,  un  des  enjeux  de  la  création

                   artistique aurait pu être de chercher à coexister avec l'enfance. Mais contrairement à ce
                   que l'on pourrait penser, l'accès à cet état d´ «innocence» ou d'«ouverture totale» propre

                   aux enfants -pour reprendre les mots de l´artiste - n´a pas consisté à un retour dans le passé.
                   Ce ne sont pas les souvenirs d'enfance qui lui ont permis de coexister et de co-créer avec

                   les jeunes interprètes, sur un plan d'égalité. Comme nous l´avons vu, il s´agit plutôt d´un
                   «processus  de  déconstruction»,  ou  bien  en  d'autres  termes  d´un  long  travail

                   d'expérimentation, ce qui est différent d'un processus lié à la mémoire. «Savoir vieillir n'est

                   pas rester jeune, c'est extraire de son âge les particules, les vitesses et lenteurs, les flux qui
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                   constituent la jeunesse de cet âge» . En affirmant une jeunesse ou une enfance située au-
                   delà de l'âge et du temps chronologique, Deleuze conçoit ainsi un accès à l'enfance distinct

                   de la remémoration. Selon lui, cet accès se fait à partir d'un processus de devenir-enfant,

                   considéré  comme  une  anti-  mémoire.  D´après  ce devenir,  un  enfant  comme  un  adulte
                   pourraient coexister sur un même plan, indépendamment de leur différence d´âge, ce qui

                   expliquerait la rencontre qui s´est produite entre les enfants et les adultes pendant les
                   répétitions,  d´où  la  co-  création  comme  émergence  et  déroulement  des  processus

                   artistiques décrits ci-dessus.

                   Désapprendre pour pouvoir accéder à l´enfance et ainsi établir des nouvelles possibilités



                   449
                      Deleuze, G., Parnet, C., Dialogues, Paris: Flammarion, 1996, p. 8.

                   450  Deleuze, G., Guattari, F., Mille Plateaux, Paris: Éditions de Minuit, 1980, p. 340.



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